Entrevue avec Marianne Valcourt, biologiste et chargée de projets en conservation et biodiversité à la Réserve mondiale de la biosphère Manicouagan-Uapishka (RMBMU)
Désignée réserve de biosphère en 2007 par l’UNESCO, la Réserve mondiale de la biosphère Manicouagan-Uapishka (RMBMU) comporte trois unités d’affaires pour en faire fonctionner les rouages et pour concrétiser sa mission d’incarner une région modèle de développement durable. D’abord MU Conseils dont le cœur de métier réside dans l’élaboration de stratégies participatives pour les organisations et les communautés, ensuite la Station Uapishka, station de recherche et écolodge nordique dans l’arrière-pays, puis Biosphère, un tremplin de développement de projets environnementaux, scientifiques et éducatifs. Cette pluralité d’implications impose notamment d’avoir dans ses rangs une équipe multidisciplinaire et complémentaire afin d’opérer efficacement.
Nous vous proposons ainsi de découvrir aujourd’hui le métier de Marianne Valcourt, biologiste et chargée de projets en conservation et biodiversité. Ayant grandi à Sept-Îles, Marianne a eu l’opportunité de revenir dans sa région à la suite de ses études et évolue au sein de l’unité Biosphère depuis bientôt un an. Mais, avant d’entrer dans le vif du sujet, savez-vous en quoi consiste le métier de biologiste?
« Tout d’abord, être biologiste c’est étudier le vivant! C’est donc une science très large, qui peut nous amener à travailler sur les bactéries, les plantes, les animaux, les champignons, etc. Pour ma part, je me suis spécialisée en écologie, c’est-à-dire l’étude du vivant et son milieu. J’aime donc faire des liens entre les différents êtres vivants d’un écosystème, en plus de considérer les aspects non vivants de celui-ci (comme la géographie, les roches, les conditions météorologiques, etc.). Au sein de la RMBMU j’occupe un poste en conservation et biodiversité, encore une fois, c’est un titre très large qui englobe beaucoup de choses! Je participe à plusieurs projets qui visent à protéger la faune et la flore des monts Uapishka (Groulx), mais aussi à d’autres projets qui ont pour but de mieux comprendre l’écosystème alpin du massif et comment il évoluera sous l’effet du réchauffement planétaire ».
Photo : Marianne pendant l’instauration du Protocole GLORIA dans les monts Uapishka. © Alexandra Wolfe
Durant l’été 2022, Marianne a travaillé sur de gros projets qui lui ont valu de passer plusieurs semaines sur le terrain. Le « bureau » de Marianne a donc essentiellement été les monts Uapishka (Groulx) qui se situent à environ 5 heures de route au nord de la ville de Baie-Comeau. Un de ces projets a notamment été l’implantation du protocole GLORIA pour lequel elle a dû collaborer avec une équipe américaine de biologistes qui se sont déplacés pour l’occasion.
Le Global Observation Research Initiative in Alpine environments (GLORIA) est un protocole international standardisé de suivi de la végétation alpine. Il consiste principalement à dresser des inventaires exhaustifs des espèces végétales qu’on retrouve au sommet des montagnes et répéter ces inventaires dans le temps. Ces inventaires se font, entre autres, dans ce qu’on appelle des quadrats. Le but est d’échantillonner exactement les mêmes mètres carrés tous les 5 à 7 ans. Ainsi, il sera possible de suivre les changements dans la végétation des milieux alpins des monts Uapishka en fonction du réchauffement climatique planétaire.
Deux semaines de terrain, des mois de préparation!
Pour ce grand projet, Marianne s’est occupée tant de la logistique liée à la préparation de la recherche, que de la recherche en elle-même, ayant à identifier une multitude d’espèces de plantes qui poussent sur les sommets. Elle explique :
« Lors du travail en montagne, nous étions une équipe bien soudée où chacun connaissait le protocole à suivre. Lorsque je finissais une tâche, je pensais tout de suite à la prochaine et j’enchaînais! Sur le terrain, chaque minute compte, puisqu’il faut idéalement revenir au campement avant le coucher du soleil! »
Le travail en amont est fastidieux. Il faut organiser et planifier minutieusement toute la logistique de ces quelques jours en montagne. Par exemple, même si le travail de terrain ne commençait qu’à la fin du mois de juin, Marianne a dû déjà prévoir les provisions de nourriture en avril! De plus, il a fallu trouver et préparer le matériel scientifique nécessaire au protocole. En février et mars, l’équipe travaillait ensemble sur l’itinéraire et sur le choix des sommets à inventorier. Quant à la préparation du matériel de camping et d’autonomie, elle s’est échelonnée sur plusieurs semaines!
Photo : Marianne et son collègue Maxime s’entraînent à reconnaître les végétaux sur le mont Harfang en vue de l’instauration du protocole GLORIA. © Marianne Valcourt
Comment s’organise la vie quotidienne en région éloignée?
Marianne nous partage une journée typique d’instauration du protocole GLORIA sur un sommet :
- 6 h 00 : Déjeuner lyophilisé (procédure de déshydratation de la nourriture par sublimation, rendant la nourriture plus légère à transporter, tout en gardant des valeurs nutritives) dans l’abri avec une tuque et un manteau chaud (même en juin la température peut descendre près de zéro la nuit!).
- 6 h 30 : Préparation du matériel.
- 7 h 00 : Départ vers un sommet.
- 10 h 00 : Arrivée au sommet et début de l’inventaire (pose des quadrats, identifications de toutes les espèces de plantes dans les différents quadrats).
- 18 h 00 : Fin de l’inventaire et départ en direction du campement.
- 21 h 00 : Retour au campement, les pieds endoloris, mais le sourire aux lèvres, fiers d’avoir accompli notre mission pour la journée. Souper lyophilisé au menu et repos dans nos tentes aussitôt le repas terminé.
La météo est un facteur clé dans l’organisation des journées de terrain. En effet, lorsque les conditions sont trop mauvaises avec beaucoup de pluie ou du brouillard, l’ensemble de l’équipe reste au camp en attendant que ça passe. La sécurité de chaque individu est primordiale.
Photo : Pour bien positionner les quadrats d’échantillonnage, il a fallu déterminer l’altitude à partir du sommet à l’aide du clinomètre. © Marianne Valcourt
Travailler dans l’arrière-pays, c’est aussi relever des défis!
Travailler en plein air dans des conditions parfois rudimentaires et à la merci de Dame nature n’est parfois pas de tout repos. C’est pourtant avec le sourire que Marianne brave les obstacles et les imprévus, comme elle s’accorde à le dire :
« J’ai déjà été fatiguée d’avoir trop marché, j’ai déjà eu très mal aux pieds ou aux genoux à ne plus savoir quoi faire, j’ai déjà été découragée de l’odeur de mon linge à force de ne pas me laver, j’ai déjà été à bout de patience à cause des mouches, mais chaque fois, ces sentiments de découragement, de mal-être ou de fatigue étaient éphémères. Il me suffit de me rappeler que j’ai les deux pieds dans la toundra, de sentir l’odeur enivrante des rhododendrons, d’entendre le sifflement du vent qui frappe ma tente pendant la nuit ou d’avoir le souffle coupé par les paysages montagneux qui s’étirent à l’infini en un dégradé de bleu pour regagner instantanément de l’énergie et oublier mes maux. Les difficultés rencontrées sur le terrain m’ont toujours amenée à repousser mes limites, autant physiques que psychologiques. Elles m’ont permis de découvrir qui je suis et ont forgé la personne que je suis aujourd’hui ».
Marianne pourrait parler longtemps de la beauté des monts Uapishka (Groulx), de leur immensité, de l’incroyable faune et flore qui l’habite, de la joie aussi qu’elle a eue à apprendre le nom de nouvelles espèces de plantes qu’elle ne connaissait pas. Cependant, travailler en milieu isolé et appliquer des protocoles scientifiques rigoureux sur le terrain se fait en équipe. Ainsi, lorsqu’on lui demande quel était l’un de ses meilleurs souvenir sur le terrain, elle explique :
« Je pense immédiatement aux gens avec qui j’ai partagé cette expérience unique. Au fil des ans, j’ai compris que les liens qui se créent entre les personnes d’une équipe de terrain sont des liens intouchables. De ces aventures naissent des amitiés qui durent toute une vie ».
Il est vrai que l’efficacité de l’équipe repose aussi sur la cohésion de cette dernière. En tout cas, Marianne et ses collègues de terrain ont été redoutablement performants dans leur recherche qui se poursuivra dans le temps. Pour le moment, Marianne a encore plusieurs autres projets à aller réaliser dans l’arrière-pays pour le compte de la RMBMU et ses partenaires. Des mandats qu’elle compte bien relever en profitant de chaque seconde, toujours avec le sourire aux lèvres!
Photo : Marianne a dû apprendre à piloter un drone pour mener à bien certains projets de recherche dans l’arrière-pays. © Marianne Valcourt